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PMA : pourquoi la conférence de Sylviane Agacinski a-t-elle été annulée à l'université de Bordeaux ?

Plusieurs associations étudiantes jugeant «homophobe» la philosophe, connue pour ses engagements contre la PMA pour toutes les femmes, ont obtenu l'annulation de sa conférence. Notamment en raison d'un communiqué dans lequel l'université a lu des «menaces violentes».
par Fabien Leboucq
publié le 27 octobre 2019 à 18h32

Question posée par The inquirer le 27/10/2019

Bonjour,

Vous nous demandez si Sylviane Agacinski a été censurée à l'université Bordeaux Montaigne (UBM). La philosophe devait y tenir le jeudi 24 octobre une conférence intitulée «L'être humain à l'époque de sa reproductibilité technique». Cette conférence n'a pas eu lieu.

On a pu lire en ligne, à droite mais pas seulement, que Sylvia Agacinski avait été «interdite de parole» (Causeur) et que «l'empêcher de parler, qui plus est au sein d'une université, est une technique de fasciste» (Contrepoints). Des politiques comme François-Xavier Bellamy, Nicolas Dupont-Aignan, Marlène Schiappa ou Jean-Luc Mélenchon se sont également inquiétés de cette annulation.

Opposition à la GPA et à la PMA pour toutes les femmes

Cette conférence était l'une des huit «conférences Montaigne» organisées à l'UBM et censées «promouvoir un usage critique des savoirs qui permette de penser ensemble notre monde et ses enjeux, lit-on sur le site de l'universitéChaque conférence, d'une heure environ, se prolonge par un moment d'échange avec l'assemblée.»

La conférence du 24 octobre de Sylvia Agacinski, est décrite ainsi sur le même site : «Avec le développement des biotechnologies, le corps devient une "ressource" nécessaire à certaines méthodes thérapeutiques, comme la transfusion sanguine, la greffe de tissus et d'organes, ou encore un "matériau biologique" nécessaire aux technologies de la reproduction humaine. Le corps humain vivant, charnel, devient un corps utilisable – tantôt pour la recherche, pour les traitements médicaux, ou pour la procréation assistée.»

Un court texte qui laisse deviner l'opposition de Sylvia Agacinski à la GPA, et à l'ouverture de la PMA à toutes les femmes. Des sujets sur lesquels elle s'est récemment exprimée devant le Sénat, dans la matinale de France Inter, ou encore auprès du Point.

A lire aussi : Bioéthique : le grand oui des députés à la PMA pour toutes

«Nous mettrons tout en œuvre afin que cette conférence n’ait pas lieu»

En prévision de cette conférence est publié, le 6 octobre, un communiqué signé par plusieurs associations étudiantes de l'UBM : GRRR (Collectif étudiant anti-patriarcat), Riposte Trans (Collectif trans et non binaire), Mauvais Genre-s (association rattachée au Master en Études sur le Genre de l'UBM), Wake-Up ! (Association des jeunes et étudiant·e·s LGBT+) et Solidaires Étudiant·e·s.

Ces associations reprochent à l'Université Bordeaux Montaigne d'accueillir «une homophobe notoire» en la personne de Sylviane Agacinski.

Le communiqué rappelle quelques citations de la philosophe et se termine sur ce paragraphe : «Nous appelons l'UBM à prendre ses responsabilités : dans un contexte d'homophobie et de transphobie décomplexées (médias, manifestations anti-PMA, agressions, refus de la PMA aux personnes transgenres,…), il est dangereux et inconscient que l'université offre une tribune à une personne aux discours dignes de la Manif Pour Tous. Nous appelons les étudiant-e-s à se mobiliser contre la venue de cette conférencière au sein de leur lieu d'étude et mettrons tout en œuvre afin que cette conférence n'ait pas lieu.»

«Menaces»

«Des groupes ont décidé d'empêcher la tenue d'un échange légitime et évidemment contradictoire sur ces questions d'ordre éthique et juridique dans le contexte des débats actuels sur la PMA et la GPA, réagissent les organisateurs des conférences, dans un communiqué. Cette manifestation de censure est une atteinte excessivement grave et violente à la confrontation des idées à laquelle notre université est attachée. Empêcher la discussion au sein d'une communauté participe d'une dérive liberticide. Ne pouvant assurer pleinement la sécurité des biens et des personnes ni les conditions d'un débat vif mais respectueux face à des menaces violentes, l'université a décidé d'annuler cette rencontre.»

Les terme de «menaces» ou de «menaces violentes» ont été repris dans un titre de Sud-Ouest (premier média à faire état de cette annulation, le 24 octobre, sans pour autant donner le contenu du communiqué initial des associations), l'Agence France Presse ou encore l'Obs.

«Je ne tiens pas à me victimiser», a pour sa part déclaré Sylviane Agacinski au Figaro. Estimant toutefois qu'«une forme de terreur intellectuelle affecte gravement l'état du débat public. Il devient très difficile de débattre en France». Et d'ajouter à l'endroit des «groupes qui excluent toute critique» : «Je n'ai jamais vu ça. Ce climat d'intimidation est récent.»

«Prévenir des polémiques»

Contactée par La Croix, l'université précise que le terme «menaces violentes» se réfère uniquement à la teneur du communiqué initial des associations étudiantes, qui a inquiété les organisateurs de la conférence (le quotidien rappelle notamment une précédente action de Riposte Trans contre un passage piéton peint aux couleurs de l'arc-en-ciel). Parmi ces organisateurs Béatrice Laville, qui explique à Sud-Ouest : «Nous ne faisons pas venir des gens pour qu'ils se fassent insulter. Et nous n'avons pas de service d'ordre à disposition.»

«On ne regrette pas les termes qu'on a employés dans notre communiqué», explique un membre du syndicat étudiant Solidaires bordelais contacté par CheckNews, qui reconnaît : «ils sont suffisamment vagues pour que ça prête à interprétation.» Notre interlocuteur se défend toutefois d'avoir envisagé une action violente, tout en assumant la volonté d'empêcher l'évènement de se tenir : «Si la conférence avait eu lieu, on y serait allé pour l'empêcher. Sans violence physique, mais en faisant du bruit, en intervenant ou en prenant la parole pour répondre à la conférencière.» 

Et si la conférence avait été transformée en débat contradictoire, les associations étudiantes auraient-elles laissé faire ? «Nous ne nous sommes pas consultés sur ce point», reconnaît le syndicaliste. Mais leur second communiqué, postérieur à l'annulation, ébauche une réponse, négative. Les associations, qui regrettent de n'avoir jamais eu de réponse de l'université, écrivent : «Nulle part [dans l'annonce de l'annulation] n'est mentionné l'engagement de Sylviane Agacinski contre la PMA pour les couples de femmes, son homophobie et sa transphobie, que nous avions mis en évidence dans notre premier communiqué. Non seulement notre démarche est invisibilisée, mais les organisateur·trice·s répondent par une injonction au débat. Elles et ils attendent donc de la part des personnes victimes d'homophobie et de transphobie qu'elles acceptent de considérer leurs droits comme sujet à débat.»

De toute manière, les organisateurs ont proposé à Sylviane Agacinski de transformer la conférence en débat, assure la philosophe sur France Culture. Elle a refusé : «Je n'allais pas là-bas pour discuter avec des gens excités qui voulaient m'insulter.»

Selon «une source» de La Croix, «en annulant la conférence, la direction de l'établissement de lettres et sciences humaines a sûrement préféré prévenir tout risque de débordements voire simplement des polémiques internes.»

Edit le 28 octobre : ajout de l'avant-dernier paragraphe

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